🇫🇷 Interview de Damien DJAOUTI

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Présentation

Au cours de la réalisation de mon mémoire de recherche sur les solutions e-learning dans les organisations, j'ai eu la chance d'interviewer Damien DJAOUTI, Doctorant en Informatique, au sein des laboratoires IRIT et LARA de l’Université de Toulouse (31).

Développeur et concepteur de jeux éducatifs et de casual games en parallèle à ses travaux de recherche, il travaille actuellement sur les méthodologies de conception de Serious Games. A la croisée entre ses recherches académiques et ses réalisations professionnelles, il dispense également des cours et formations sur le multimédia et les jeux vidéo.

L'objectif de cet interview était bien sur d'obtenir l'avis d'un expert concernant les serious games et leur pénétration sur le marché du e-learning.

Interview

Quels sont les atouts des serious games face aux solutions e-learning existantes?

Tout d'abord, peut-être faudrait-il préciser ce que j'entends par "serious game". En effet, nombreux sont les acteurs de ce secteur, et chacun possède sa propre définition. Pour mes collègues et moi, un serious game se définit comme "tout jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement". Concrètement, il s'agit d'associer au sein d'un seul logiciel, une dimension utilitaire (serious) et une dimension ludique (game).

Partant de lĂ , les Serious Games peuvent ensuite viser plusieurs fonctions "utilitaires". Aujourd'hui nous en recensons trois :

  • diffuser un message (educatif, informatif, persuasif ou subjectif),
  • prodiguer un entrainement (cognitif ou physique)
  • favoriser l'Ă©change de donnĂ©es.

Ensuite, ces familles de Serious Games se retrouvent dans un très grand nombre de domaines d'applications (santé, education, défense, publicité, politique...).

La valeur ajouté d'un Serious Game va donc varier selon la fonction et le marché qu'il vise. Pour celui de l'éducation, une des "valeur ajoutée" que l'on mentionne souvent par rapport à des solutions d'e-learning plus "classique" repose dans l'ajout de la dimension ludique. Celle-ci peut avoir plusieurs avantages : maintien de la motivation des usagers, possibilités d'interaction plus riche, appui sur une culture vidéoludique commune...

Les solutions e-learning classiques semblent actuellement rencontrer un succès mitigé auprès des utilisateurs pour diverses raisons (manque de motivation, absence d'encadrement, etc.). De plus, les jeux vidéos en général peuvent parfois pâtir d'une mauvaise image auprès des apprenants. Par conséquent, quelles sont les clés de l'intégration des serious games dans une organisation ?

Vaste question qui relève à mon avis plutôt du "cas par cas". Les freins que l'on peut rencontrer face à l'adoption du Serious Game sont effectivement de plusieurs natures.

  • ApprĂ©hension liĂ©e au jeu vidĂ©o. Celle-ci peut ĂŞtre de deux sortes : une mĂ©connaissance de l'objet qui entraine une crainte des apprenants face Ă  un objet technologique qu'ils ne maitrisent pas. Dans l'industrie du divertissement, la vague du "Casual Game" vise justement Ă  dĂ©passer cette barrière culturelle en proposant des jeux plus facile d'accès, moins chronophage et traitant de thème plus en phase avec un public large. Les concepteurs de Serious Games peuvent donc s'appuyer sur cette population de jeu pour essayer de concevoir des jeux en adĂ©quation avec les connaissances prĂ©alables des apprenants (certains dĂ©couvrant par exemple le jeu vidĂ©o par le biais du Serious Game) L'autre apprĂ©hension est liĂ©e Ă  l'image plus ou moins nĂ©gative que peut avoir le jeu vidĂ©o dans l'inconscient collectif, image rĂ©sultant de plusieurs facteurs (fossĂ© des gĂ©nĂ©rations, Ă©volution historique du jeu vidĂ©o, scandales mĂ©diatiques...). Un des pays dans lequel la notion de "jeu vidĂ©o" est la plus pĂ©jorative se trouve ĂŞtre les États-Unis. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, plusieurs instances publiques amĂ©ricaines souhaitaient utiliser le jeu vidĂ©o, mais ne pouvaient le faire directement sous peine de choquer l'opinion publique (Columbine et les dĂ©bats autour du jeu vidĂ©o qui en ont suivi restant encore dans les mĂ©moires). En 2002, le terme "Serious Game", dont le concept vient des annĂ©es 60, a Ă©tĂ© rĂ©actualisĂ© pour le cas du jeu vidĂ©o. Pour pouvoir utiliser du jeu vidĂ©o Ă  des fins "sĂ©rieuses" sans ĂŞtre trop gĂŞnĂ©e par l'image pĂ©jorative du jeu vidĂ©o, un nouveau terme a donc Ă©tĂ© employĂ©. Il s'agit de l'oxymore "Serious Game". Une fois cette barrière culturelle passĂ©e, lorsque le grand public aura assimilĂ© le fait que, Ă  l'image d'un film ou d'un livre, un jeu peut traiter de diffĂ©rent sujets et s'adresser Ă  diffĂ©rents public, nous supposons que ne nous parlerons plus de "Serious Game", mais tout simplement de jeu vidĂ©o.
  • Manque de recul sur le Serious Game. Comme il s'agit d'un domaine relativement rĂ©cent et jeune, la place de l'expĂ©rimentation est encore grande. Si cela est intĂ©ressant sur de nombreux aspects (notamment pour la recherche), pour son utilisation par des institutions publiques ou privĂ©es cela reprĂ©sente plutĂ´t un frein. Un des dĂ©fis des entreprises qui crĂ©ent des Serious Game est donc d'arriver Ă  convaincre leur clients de tenter l'aventure, alors qu'il existe encore peu d'Ă©tudes de terrain Ă  grande Ă©chelle sur leur efficacitĂ© et valeur ajoutĂ©e. En clair, nous sommes encore dans une phase "montante" du Serious Game.
  • Importance des couts. La rĂ©alisation d'un Serious Game peut s'avĂ©rer sensiblement plus onĂ©reuse qu'une campagne de communication "classique" ou qu'un simple support de cours interactif. Il faut donc que l'organisation ait un budget Ă  consacrer au Serious Game, et arriver Ă  la convaincre de l'intĂ©rĂŞt d'un tel investissement.

Les clés de l'intégration du SG dans une organisation donnée serait donc d'arriver à identifier les blocages ou appréhensions de ladite organisation pour essayer d'y apporter une réponse.

Les serious games actuels peuvent ils prétendre remplacer totalement tout autre forme de formation (e-learning ou présentielle)? Cela est-il envisageable à moyen ou long terme?

Dans la pratique, le serious game et l'elearning ne sont pas contradictoires et peuvent tout à fait aller de pair. De même, l'utilisation du serious game n'exclue pas la présence d'un enseignant ou formateur, bien au contraire. Si le discours actuel, focalisé sur le "Serious Game" pourrait laisser penser qu'il se suffit à lui-même, dans la pratique il faut le voir comme un outil supplémentaire dans la trousse du pédagogue.

Après, tout cela est modulable selon l'intention et le public visée par le concepteur d'un Serious Game. S'il y a effectivement des cas ou le Serious Game peut être envisagé comme un outil autonome (publicité notamment). Mais pour le contexte de l'éducation je pense qu'il faut vraiment le voir comme un complément aux modes de formations existants. A mes yeux, les exemples les plus intéressants de jeux vidéo pour l'éducation sont ceux utilisés en classe avec un professeur (ou en stage avec un formateur), car celui-ci est le plus à même d'assurer la qualité du savoir transmis, mais peut aussi aider à contextualiser le Serious Game, aspect fondamental pour quiconque souhaite utiliser un jeu en classe. D'ailleurs, nombre de Serious Game destiné au secteur de l'éducation, tels que Lure of the Labyrinth (http://serious.gameclassification.com/11511) et Stop Disasters! (http://serious.gameclassification.com/1334), sont fournis avec des fiches pédagogiques à destination des enseignants, qui leur proposent de nombreuses pistes d'utilisations.

Quelles sont les difficultés généralement rencontrées dans la gestion du changement de solutions e-learning?

Un des gros défis des acteurs du e-learning qui se tournent vers leSerious Game est d'arriver à mélanger efficacement la dimension ludique sans pour autant perdre leur savoir faire sur la partie sérieuse. Par exemple, pour l'éducation, les notions de suivi des apprenants, de leur évaluation et de la manière dont est validé une transmission de connaissance par l'intermédiaire du jeu font partie des gros défis de conception actuels.

N'hésitez pas à rajouter ce que vous voulez, ces questions ne sont que des pistes de réflexion.

Il ne s'agit là que de réponses "générales" et rapides qui n'engagent que moi. Si le sujet des Serious Game vous intéresse, je me permet de vous signaler qu'avec mon collègue Julian Alvarez, nous allons bientôt publier un ouvrage "Introduction au Serious Game". Après une discussion sur sa définition et un passage en revue de l'état actuel du marché (avec de nombreux exemples), nous revenons sur l'histoire du Serious Game. Le dernier chapitre sera surement susceptible de vous intéresser, car nous y avons interviewé une trentaine d'acteurs impliqués dans le Serious Game (créateurs, enseignants, formateurs, consultants...) pour qu'il nous exposent leur vision du serious game, et les avantages/inconvénients qu'ils y associent.

http://livre.fnac.com/a2843459/Julian-Alvarez-Introduction-au-Serious-game

Tags: mémoire de recherche, interview